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25/04/2013

EDUCATION

coulommiers hummel118.jpgJ’avais deux grands-mères (mes deux grands-pères étant décédés bien avant ma naissance, l’un à la guerre de 1914, dans les abominables tranchées, l’autre d’une crise d’urémie d’une propension à des abus alimentaires répétés), bref disais-je, j’avais donc deux grands-mères, elles bien vivantes. Ma grand-mère paternelle ne me témoignait pas une affection incontrôlée à mon égard (ou du moins elle la cachait bien). L’autre par contre, adorable petite femme aussi fine de corps que d’esprit, ne cachait pas l’attachement qu’elle avait pour moi. Nous nous entendions bien, l’esprit vif (forme d’intelligence que je vénère et que j’essaye à grand peine de cultiver) dont elle était pourvue me ravissait et chaque rencontre pendant longtemps alors que je la visitais, homme, me rendais heureux. Pourtant je lui dois au moins une gifle et le museau trempé.

Pour la gifle, je m’en souviens encore comme si s’était hier. Je l’ai reçue alors que nous étions dans la salle à manger de son petit appartement de la rue Barbier. Je tournais vivement autour de la table ronde en chêne ciré. Il faut dire que la guerre venait de se terminer, les boches, comme elle les appelait, avaient quitté la France meurtrie huit mois auparavant. Sa fureur venait du fait que je n’avais trouvé rien de mieux que de me créer un petit avion fait de deux simples petits bois croisés que je tenais fermement entre mes doigts serrés. Ainsi placés, je tournais autour de la table en imitant bruyamment le piqué d’un avion de chasse, le tout servi par des boums très sonores de bombes imaginaires explosant et cela sans m’arrêter. Cet horripilant manège, fruit d’une idée saugrenue sans aucun doute dû à mon très jeune âge ne mesurant pas l’importance du ressenti tout frais des évènements vécus par elle, continuait sourd à sa demande réitérée avec vigueur, à m’amuser bruyamment. Alors, pour elle qui venait de vivre ces batailles aériennes toutes récentes suivies de ces innombrables explosions, c’en était trop ! Une magistrale gifle vint stopper radicalement ce délire de guerre qui prit fin définitivement. La dernière explosion venait de se produire sur ma joue. Le simple fait d’imiter le bruit d’un quelconque avion de chasse (même de ligne), avait définitivement quitté mon esprit ce jour-là. Ce fut la seule fois que ma joue et sa main se rencontrèrent d’une façon aussi vigoureuse. Cela m’apprit par la suite à prendre en compte dans mes attitudes futures ce que pouvait ressentir les gens face à mon impertinence ou mon agressivité et à mesurer instinctivement les conséquences de mes actes en prévoyant leur réponse possible. Pour être plus concis, à  être plus prudent.

Le museau trempé ? Toujours à la même époque, j’étais assez impertinent, attitude que justifiait une précocité générée par la guerre : je n’avais pas eu d’enfance. Très tôt, j’eu la responsabilité d’un adulte mais aussi sa vie. La guerre a ainsi privé d’enfance un grand nombre de personne à l’époque. C’est vrai, je n’ai pas eu d’enfance. Balloté de ville en ville, je n’ai jamais eu de copains, d’amis de mon âge, quelques rencontres vite quittées. Je ne peux pas dire par exemple comme mes fils : tiens celui-là, tu te rends compte, nous étions en sixième ensemble. Ainsi donc, lorsque nous sommes arrivés à la fin de la guerre chez ma grand-mère qui nous hébergeait, j’étais ‘’brut de fonderie’’. La discipline était un mot, plus encore une attitude qui m’était inconnue jusqu’alors. Je n’obéissais qu’à ma mère m’étant trouvé seul longtemps avec elle durant ces interminables années de guerre. C’est pourquoi chaque jour à table, je discutais de tout, interrompant les adultes, leur donnant mon avis alors qu’il ne me le fut aucunement demandé. Cela avait le don d’exaspérer ma grand-mère qui me réprimandait et me demandait de bien vouloir rester à ma place et de bien vouloir me taire comme l’aurait fait un enfant bien élevé. Je ne pris pas en compte sa pressante requête et elle eue la réponse efficace,  lasse de parler dans le vide. Un midi, alors que je débordais d’un dynamisme ravageur, je la vis simplement remplir d’un fond d’eau son verre. Rien ne m’apparut bizarre quoique d’ordinaire elle préférait un peu de vin. Puis, elle me demanda à nouveau de me taire, ce que je ne fît pas. D’un geste preste elle saisit son verre et me jeta l’eau à la figure, sans un mot, calme. La surprise pour moi fût telle que je suffoquais, interdit. Elle avait osé ! De l’eau sur mon visage, sur mes vêtements, sur son parquet chéri qu’elle encaustiquait et soignait avec amour ! Ce n’est pas possible, elle avait osé faire un geste pareil. Ce geste me rendit définitivement discipliné à table.

Une autre fois, plus tard, oublieux, emporté dans des interventions inconsidérées je la vit calmement remplir son verre d’un fond d’eau. Aussitôt sans qu’elle n’eut à prononcer aucune parole je me tus instantanément devant une possible douche.

Ma chère grand-mère, quand je pense à elle encore maintenant, les larmes me viennent aux yeux, coulent sur mes joues. C’était peut-être qui sait, un reste d’eau qu’elle avait jeté au visage d’un enfant qui apprenait la vie.

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