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10/12/2007

Un destin hors norme ...

fa8d20f9f64b54e9fc74b535b4982f5d.jpgLe père de Samuel Pisar, puis sa mère et sa soeur furent exécutés après que les forces du Reich eurent envahi la Pologne de l'Est, déjà occupée par les Soviétiques. Seul, forçant la chance avec l'énergie du désespoir, volonté et ruse, le jeune Samuel réussit à survivre à la faim, la brutalité et la dégradation, dans les plus tristement célèbres des camps de la mort. Il raconte également cet épisode extraordinaire dans son livre « La Ressource Humaine »
J’ai appris dans le creuset le plus brutal de l’existence que l’homme mis au pied du mur a une capacité stupéfiante, infinie, d’endurance, d’adaptation, d’invention. Cette forme d’énergie, quand elle est maîtrisée, suffit à relever tous les défis, même ceux de la vie et de la mort. C’est elle qui m’a permis de revenir des profondeurs de l’oubli.
Ce fut à l’âge de treize ans, dans l’univers innommable de Auschwitz, auquel ne m’avaient préparé ni ma résistance physique, ni mes moyens matériels, ni mon expérience – inexistante et qui de toute façon ne m’aurait servit à rien – que j’ai gagné mon premier bail sur la vie.
Lors d’un triage, d’une sélection entre ceux qui mourraient sur le champ et ceux qui restaient temporairement vivants, j’avais échoué du mauvais côté.
Avec un groupe de plusieurs centaines d’autres, je fus conduit dans un baraquement, sur la voie de la chambre àgaz. Deux gardes armés de mitraillettes se tenaient devant la porte ouverte. A l’intérieur, tassés comme des bêtes à l’abattoir, nous attendions dans un affreux silence notre tour, le visage rougi par une rage impuissante, ou quelque fol espoir d’une rémission de dernière minute, allié à la paix hallucinatoire de la mort imminente.
Dans le fond de la salle j’avisai un seau d’eau, une brosse et une serpillière.
Je m’accroupis et rampai lentement sur le plancher. Arrivé au seau, je trempai la brosse dans l’eau et entrepris de frotter vigoureusement les lattes sales.
J’allai de-ci de-là, nettoyant et essuyant comme une recrue expérimentée. Imperceptiblement, je m’approchai de la porte. L’un des gardes m’aperçut mais, indifférent, il détourna la tête, supposant que j’exécutais des ordres. Après un moment, l’autre cria « Hé ! crétin, c’est encore sale là-bas ! »
Le cœur battant, je poursuivis ma tâche en direction de la porte, passant entre les jambes des autres condamnés, trop terrifiés pour remarquer que j’étais l’un d’eux.
« Retourne nettoyer ce coin là, fainéant ! »
Je soulevai mon seau et reculai en murmurant « Oui, monsieur », à l’adresse du garde, tremblant de tous mes membres.
Le coin de nouveau nettoyé, je repris ma lente progression vers la porte. Quand je l’atteignis, je me mis à frotter avec une vigueur calculée pour tirer un hochement du maître le plus exigeant. Je séchai les lattes comme si je voulais les rendre encore plus brillantes. Puis je me levai sans hâte. Portant le seau avec dedans la brosse et la serpillière, je franchis le seuil.
Je m’attendais à un cri, à un ordre, à un coup sur le crâne. Rien ! A pas lents, mesurés, je me dirigeai vers les autres baraquements et me perdis dans l’anonymat du camp.....
A l'approche des armées alliées, Pisar s'échappa avec ses deux inséparables compagnons, Ben et Niko, et fut récupéré par une colonne de chars américains. Il venait juste d'avoir seize ans. Pris dans un dangereux tourbillon de liberté, dans les ruines de l'Europe d'après guerre, Pisar, sauvage et illettré, est retrouvé par un oncle et amené en France puis en Australie, où il commence sa rédemption : physique, morale et intellectuelle.
Le jeune matricule B 1713, « sous-homme » d'Auschwitz, administrera un éclatant démenti à la barbarie qui avait programmé sa destruction : il obtient un doctorat à l'université Harvard et un autre à Paris, travaille pour les Nations Unies, le Président Kennedy et le Congrès des Etats-Unis, et devient un brillant avocat et négociateur international consulté par les plus hautes instances. Installé, avec sa famille, à Paris, il lutte pour que ne se reproduise jamais plus le drame qui a dévasté l'Europe. Le moyen ? L'intégration économique entre l'Est et l'Ouest, entre Nord et Sud ? thèse qu'il exposa dans un livre au retentissement mondial : Les Armes de la Paix.
Ce soir j’ai saisi un livre, au hasard dans notre bibliothèque, celui de Samuel Pisar.
J’ai voulu vous faire part, de ce destin hors norme. J’ai pour cet homme, depuis longtemps, un immense respect.

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